
En coulisse
Faire des pauses au travail est essentiel
par Olivia Leimpeters-Leth
Des nouvelles en 100 secondes, des TikToks en 30 secondes, des tweets en 250 caractères et des articles avec indication de la durée de lecture : tout se bouscule pour attirer notre attention, mais celle-ci est plutôt limitée. Peut-on encore se concentrer plus longtemps sur une seule chose de nos jours ?
Quand avez-vous lu un livre pour la dernière fois en quelques jours seulement ? Est-ce que vous survolez les articles en ligne en vous basant uniquement sur les intertitres ou restez-vous concentré sur le sujet jusqu’à la fin ? Et où est votre smartphone lorsque vous regardez un film ? Est-ce que vous vous concentrez sur le film ou est-ce que vous chattez aussi en même temps ?
Vous connaissez ces situations ? Pas de soucis, ça m’est aussi arrivé. C’est rassurant de constater que tout le monde peut avoir un déficit d’attention, et pas seulement depuis l’ère des smartphones. Les dernières études montrent que le cerveau humain n’est tout simplement pas fait pour se consacrer longtemps à une seule et même tâche. Il a en permanence besoin de nouveaux stimuli.
C’est précisément ce que les réseaux sociaux tels qu’Instagram, TikTok et autres exploitent : le « doomscrolling » est devenu un terme bien établi et un phénomène très répandu. Passer des heures à naviguer et à faire défiler les applications les plus diverses pour n’en ressortir qu’à peine plus intelligent.
Or, vous pouvez y remédier si vous savez comment fonctionnent votre attention et votre capacité de concentration. Bien qu’il n’y ait pas de consensus en psychologie sur les modèles d’attention – il existe différentes théories décrivant les fonctions de l’attention – une chose est claire : l’attention est le « projecteur mental » (en allemand) d’un organisme. Elle nous permet de nous concentrer sur les choses actuelles ou importantes en général. Cela peut se faire inconsciemment mais aussi consciemment, par exemple lorsque vous cherchez un nom ou une scène dans votre mémoire ou que vos pensées s’égarent parce que quelque chose d’autre vous vient à l’esprit.
Dans son livre Abgelenkt (titre original anglais : Stolen Focus : Why You Can’t Pay Attention), paru en 2022, le journaliste et auteur britannique Johann Hari décrit de manière encore plus nuancée les projecteurs de notre attention. Selon lui, notre attention se divise en quatre catégories lumineuses : les feux de croisement, les feux de position, la lumière du jour et les projecteurs de stade. De quoi s’agit-il ?
La métaphore des quatre sources lumineuses est intéressante, mais la raison exacte pour laquelle quelque chose attire votre attention ou vous détourne de quelque chose n’est pas encore élucidée. Et ce n’est pas si simple. Les livres d’introduction à la psychologie sont remplis d’approches très diverses, allant de l’attention sélective à l’attention dimensionnelle. Au final, beaucoup de choses dépendent des préférences de chaque personne. C’est à vous de décider ce qui doit retenir votre attention. Alors, posons l’autre question : qu’est-ce qui vous distrait ?
La distraction est indissociable de l’attention, tout comme l’ombre fait partie de la lumière. Comment faire pour accueillir positivement les interférences ? Ce terme décrit la distraction ou l’interruption d’une action par des informations non pertinentes, des bruits parasites, d’autres personnes, des appareils, des pensées et ainsi de suite.
Selon deux experts – le Dr Adam Gazzaley, un neuroscientifique qui est l’un des précurseurs en matière de distractions et d’interruptions du cerveau, et le Dr Larry Rosen, un psychologue spécialisé dans la psychologie et la technologie – l’interférence se divise en deux catégories : l’interférence interne et l’interférence externe.
Les deux auteurs écrivent dans leur livre Das Überforderte Gehirn. Mit Steinzeitwerkzeug in der Hightech-Welt (en anglais Distracted mind) qu’il s’agit d’une part des distractions que nous provoquons nous-mêmes, par exemple par des pensées vagabondes, et d’autre part des distractions provenant de l’extérieur, c’est-à-dire de stimuli sensoriels externes, comme le fond sonore d’un local ou des signaux acoustiques, vibratoires ou optiques clignotants.
Selon les scientifiques, les interférences internes et externes existent depuis toujours. Ce ne sont pas des phénomènes modernes, provoqués par exemple par les smartphones, les ordinateurs et les médias en tout genre. La distraction est toujours possible, qu’il s’agisse d’un verre renversé à la table voisine dans un restaurant ou d’une conversation avec votre patronne qui vous revient à l’esprit quand vous êtes en train de prendre un verre avec une amie après le travail. D’un point de vue positif, vous pouvez appeler cela du multitâche, d’un point de vue négatif, de la distraction.
Tout l’art consiste à récupérer l’attention et à se concentrer entièrement sur l’ici et maintenant. Mais comment y parvenir alors que l’être humain ne consacre plus que trois minutes en moyenne à une tâche ? (en anglais)
Ces trois minutes ne concernent heureusement pas le monde du travail. La même étude a révélé un temps de concentration de onze minutes et demie avant que l’humain ne passe à une autre tâche. Ce n’est pas beaucoup non plus, mais il existe des techniques et des outils qui permettent d’améliorer ce laps de temps. Ce qui compte :
Sauter d’un projet à l’autre, d’une application à l’autre, d’une chose à l’autre, ne favorise pas l’attention. Votre système de récompense se réjouit, parce qu’il reçoit en permanence de nouveaux stimuli, mais cela nuit à la tâche. Ce comportement devient surtout problématique si vous faites régulièrement du multitâche. Des études publiées en anglais ont montré que cela peut entraîner des habitudes difficiles à perdre.
On dit souvent qu’une bonne planification est déjà une bataille à moitié gagnée, et c’est en grande partie vrai. Si vous réfléchissez à l’avance à un bon planning réaliste vous permettant d’accomplir certaines tâches, vous aurez tout à gagner. L’important est que les objectifs ne soient pas trop ambitieux, car ils seraient alors impossibles à atteindre. En ce qui concerne la vie professionnelle également, il est donc honnête et juste de remettre en question de manière critique les délais et les horaires trop serrés. Rien ne perturbe autant votre concentration que de savoir que vous ne pourrez pas atteindre votre objectif pour des raisons de timing.
Cela semble évident, mais un environnement sans distractions est extrêmement important pour votre capacité de concentration. Des études récentes (en anglais) confirment – et vous l’avez certainement souvent constaté – que votre smartphone est le facteur de distraction numéro 1, et ce n’est pas l’appareil lui-même, mais surtout les médias sociaux qui absorbent votre attention. Si vous voulez vous concentrer sur votre travail, veillez à ce que votre smartphone (si vous ne le mettez pas de côté) soit au moins en mode silencieux ou en mode avion. Sur la plupart des appareils, vous pouvez définir des minuteries pour les applications. Elles ne sont alors disponibles que pendant une certaine période de la journée.
À propos de minuterie : l’auteur de Abgelenkt (en anglais Stolen Focus), Johann Hari, est lui aussi souvent distrait. Pour utiliser son temps de manière plus productive et ne pas se servir constamment de son smartphone – nous le faisons environ 1600 fois en 24 heures ! –, il le met sous clé. Pour cela, il a un propre petit coffre-fort appelé kSafe qui, à première vue, ressemble à un récipient en plastique pour la farine. Le dispositif de verrouillage qui se trouve dans le couvercle est muni d’une minuterie numérique qui permet de régler des temps de fermeture allant de 15 minutes à deux semaines.
Vous pouvez aussi régler votre smartphone de manière à ce que la surface apparaisse en nuances de gris et soit moins attrayante. Peut-être parviendrez-vous ainsi à réduire le temps passé sur votre smartphone qui, en moyenne, est de plus de trois heures par jour.
Un niveau sonore élevé ne favorise pas non plus la concentration. Les dernières tendances en matière d’effets sonores, comme #brownnoise ou bruit blanc, permettent de remédier à cette situation.
Ceux ou celles qui portent des montres connectées et font surveiller leur sommeil en ont déjà fait l’expérience : la montre avertit d’un manque de concentration si le sommeil a été mauvais. Mais même sans montre connectée, vous connaissez les effets d’une nuit agitée. Et bien sûr, certaines études démontrent l’importance d’un bon sommeil pour votre santé. Par conséquent, le stress est un facteur qui détériore la qualité du sommeil, tout comme l’alcool.
Les personnes qui souffrent de troubles respiratoires pendant le sommeil (par exemple l’apnée obstructive du sommeil) ont souvent du mal à se concentrer le lendemain et souffrent de fatigue. Il existe une solution possible pour augmenter la concentration et retrouver la productivité, appelée power nap (c’est-à-dire la micro-sieste). En effet, selon de récentes études, 30 à 60 minutes suffisent pour régénérer votre force de travail.
Des entreprises comme Google, la NASA, Samsung et HuffPost ont donc créé leurs propres espaces de détente où leur personnel peut se reposer. Et à Vienne, « Siesta Consulting » conseille des personnes et des entreprises pour les convaincre de l’avantage des phases de repos à l’heure du déjeuner et de la possibilité de les transformer en facteur de réussite pour les organisations.
Si l’on en croit l’auteur et journaliste Johann Hari, on ne devrait pas se punir lorsque l’on n’arrive pas à se concentrer. Les distractions se produisent, mais cela ne vaut pas la peine de se détester et de se reprocher son comportement. Mieux vaut faire comme Johann Hari et réfléchir plutôt à la manière de retrouver un état de flux productif. Que pourriez-vous faire pour y parvenir ? Changer d’environnement, éteindre les appareils, faire une courte pause ? Comme il le dit si bien, la recherche du flow est bien plus efficace que l’auto-punition.
Photo d’en-tête : shutterstockCarnet de notes, appareil photo, ordinateur portable ou smartphone. Pour moi, vivre, c'est enregistrer, que ce soit de manière analogique ou numérique. Mon iPod Shuffle ne me quitte pas. C'est le mélange qui fait la différence. Cela se reflète également dans les sujets sur lesquels j'écris.