
Critique : Les enfants du Platzspitz, une bonne histoire mal racontée

« Les enfants du Platzspitz – Ma mère, la drogue et moi » nous raconte la vie avec une mère toxicomane. Drogues et Platzspitz promettent du drame et de la tension, mais le livre ne tient malheureusement pas ses promesses.
« Les enfants du Platzspitz – Ma mère, la drogue et moi » raconte la vie de Michelle Halbheer et a été écrit par une prête-plume, la journaliste et auteure Franziska K. Müller.
Dans son livre, Franziska K. Müller raconte l'enfance et l'adolescence de l'ex-candidate de l'émission MusicStar, Michelle Halbheer. Michelle a grandi auprès d'une mère toxicomane.
« Les enfants du Platzspitz » documente une période de l'histoire Suisse contemporaine. Ce livre est en quelque sorte notre « Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée... ». C'est une partie de l'histoire d'un groupe de population qui a attiré l'attention du monde entier : un parc situé en plein coeur de Zurich occupé par des junkies tolérés par les autorités. « Les enfants du Platzspitz » montre ce que c'était que de grandir aux côtés d'une de ces âmes perdues.
Ce livre est un document historique, mais est très difficilement lisible. Il est plein de fautes. Pire encore : quantité de phrases n'en finissent jamais et se perdent quelque part au milieu pour ne jamais retrouver leur chemin vers le début de l'histoire. Il manque un fil rouge, qui devrait pourtant être évident dans la chronologie.
Une enfance comme personne ne devrait en avoir
Michelle grandit dans un environnement rongé par la toxicomanie. Son quotidien se résume à souffrir de la faim, d'une mère que la drogue rend violente, manipulatrice et irascible. Dentition irrégulière, saleté, morsures de puces et maigreur la décrivent physiquement.
À treize ans, je portais du huit ans. Les manches s'arrêtaient au-dessus de mes coudes et les pantalons m'arrivaient au niveau de la cheville.
Pour une courte période, la mère de Michelle est clean, mais elle est diagnostiquée séropositive. Héroïne, cocaïne, méthadone et d'autres drogues – dans le livre, la liste n'est jamais exhaustive – sont de retour dans sa vie.
Alors que Michelle a sept ans, sa mère, Sandrine, divorce. Michelle reste avec elle. Son père est touché, il ne comprend pas. Manipulée dans sa prise de décision, Michelle est sous l'emprise de sa mère toxicomane. Elle dort sur un matelas sale dans la seule pièce habitable de son appartement. Sa mère est brillante de sueur et pue la drogue.
Michelle a deux personnes dans sa vie pour lui donner de la force : son père et sa grand-mère. Mais, eux aussi, sont impuissants face à la lente descente aux enfers de la famille.
Ce n'est qu'à l'âge de 15 ans que Michelle s'échappe enfin de l'enfer de la drogue. Elle vient d'une famille appartenant à l'Église libre. Ils ont peut-être de l'argent, mais leur vision du monde et de la femme est façonnée par la religion. Michelle tourne le dos à la religion et déménage.
Dans la vie de Michelle, la musique a toujours occupé une place importante. Ça n'est pas mentionné dans le livre, mais Michelle a suivi une formation de chanteuse, a dansé lors du festival de Goa et est apparue dans l'émission suisse allemande MusicStar.
Aucun lien, encore moins de fil rouge
Je ne pense pas qu'on lise « Les enfants du Platzspitz » pour la beauté des mots. Côté langue, le livre est aussi immangeable que l'enfance de Michelle.
Même si « Les enfants du Platzspitz » peut être considéré comme un document historique, des informations importantes manquent à l'appel :
- que se passe-t-il ?
- Qui est impliqué dans cette affaire ?
- Où tout cela se passe-t-il ?
- Quand les événements ont-ils lieu ?
- Comment tout cela se termine-t-il ?
- Pourquoi cela se produit-il ?
- Quelles sont les sources possibles ?
Le fil rouge est complètement absent du livre. Souvent, en tant que lecteur, vous ne savez pas où vous en êtes chronologiquement parlant. Ou même où l'histoire se déroule. Les personnes ou les animaux, qui semblent être des acteurs importants, ne sont présentés qu'à moitié, voire pas du tout, ou seulement lorsqu'ils disparaissent deux phrases plus tard. Par exemple, le chien de Michelle, que, dans un élan de malveillance, sa mère donne à quelqu'un d'autre pour blesser Michelle. Mais de quel chien parle-t-on ? Apparemment, l'être le plus cher à son coeur. Pourquoi Franziska K. Müller n'a-t-elle pas présenté le chien de Michelle le jour de son emménagement plutôt que le jour de son départ ?

Il manque de grandes parties de la vie de Michelle. La grande passion de Michelle pour la musique n'est mentionnée qu'au début et à la fin du livre. Le livre ne laisse entrevoir aucun compagnon dans la vie de Michelle. Nous parlons de Michelle Halbheer, une femme qui s'est frayé un chemin jusque dans les derniers tours d'un casting pour une émission télévisée. Sans aucun talent, tout cela ne serait pas arrivé. Michelle a dû en écouter et en interpréter des chansons avant d'en arriver là. Elle devait chanter alors que sa mère était en plein trip, une aiguille dans le bras, à côté d'elle. Une image tragique. Mais dans le livre, cette vocation, cette carrière, n'a qu'un rôle marginal.
Le titre « Platzspitzbaby » (titre original) est au moins aussi trompeur que la chronologie du livre. Le parc du Platzspitz, ou « needle parc », est brièvement mentionné au tout début du livre. Michelle vit toujours dans des maisons, des trous à rats puants et dégoûtants certes, mais à aucun moment il n'est fait fait référence au Platzspitz ou à la vie dans la rue. Et d'ailleurs : aucune de ces maisons ne se trouve dans la ville de Zurich. Sauf peut-être la piaule tout au début du livre, mais je n'ai aucune certitude. Le mot « Zurich » n'apparaît jamais dans le livre. En revanche, « zurichois » apparaît deux fois en rapport avec l'Oberland.
De l'importance de la beauté de la langue
Le problème ne réside pas dans l'histoire, mais bien dans les mots. Les phrases longues et confuses qui s'étendent parfois sur plusieurs lignes et les sauts temporels étranges perturbent le flux de la lecture. Le livre est écrit au passé. En tant que lecteur, cela suffit à vous distancer complètement.
Tout au long du livre, on peut lire le mot « buk » trois fois (dans la version originale en allemand). Ce prétérit du verbe « backen » est complètement désuet. Plus personne n'utilise ce mot, sauf Franziska K. Müller et le Duden.

De plus, les choix linguistiques de Franziska K. Müller ne sont pas clairs. Malgré la volonté affichée de Michelle de publier un livre qu'elle pourra vendre sur le marché allemand, l'auteure a fait des choix linguistiques qui me laissent perplexe. Elle utilise certes le Eszett, « ß », uniquement utilisé en Allemagne et en Autriche, mais adopte ensuite des expressions typiquement suisses, qui sont en fait des emplois fautifs de l'allemand standard. Ce sont peut-être des détails, mais ils rendent la lecture difficile.
« Les enfants du Platzspitz » est une histoire tragique et merveilleuse à la fois. Une histoire qui vaut la peine d'être lue. Mais dans le livre, on ne ressent pas vraiment la souffrance dans la vie de Michelle. La longueur des phrases et les nombreuses virgules n'aident en rien la compréhension de l'histoire.
L'auteure
Quelques mots sur l'auteure et prête-plume. Il est tout à fait possible que ce livre ne soit pas son meilleur ouvrage, que Franziska K. Müller écrive en fait sans fautes d'orthographe ni faiblesses grammaticales. J'imagine donc que le problème vient du modèle commercial des biographies privées.
Sur son site Internet, madame Müller propose ses services en tant qu'auteure professionnelle. Elle doit donc écrire X livres par mois afin de gagner sa vie. On doit tous payer les factures. Fair enough. C'est la rémunération au mandat, ça semble dur.
Un livre qui répond à des critères professionnels, raconte des histoires passionnantes et est bien écrit
Cela signifie qu'elle ne peut probablement donner tout le temps et l'espace qu'elle mérite à une histoire que dans des cas individuels. Mais une bonne histoire en a besoin. D'après la longueur des phrases, le manque de structure et les fautes d'orthographe, je suppose que le texte n'a pas été relu selon le principe des quatre yeux. Manque de temps ?
Franziska K. Müller fait des fautes. Moi aussi, mais mon relecteur s'occupe de les faire disparaître. Elle écorche le nom du musicien Manfred Mann, qui devient « Manfred Man ». Google s'en serait mieux sorti, ainsi que n'importe quel correcteur orthographique. Elle n'a pas eu le temps de faire une rapide recherche sur Google ?
Ce sont des petits détails qui se perdent lorsque l'on prend des notes rapides. Vous ne verrez pas la première version de mon texte, mon relecteur est en train de la réviser et j'espère qu'il pourra éradiquer toutes les fautes de frappe et les virgules mal placées. Il devrait toujours en être ainsi avant la publication d'un texte.
En ce qui concerne « Les enfants du Platzspitz », on ne peut malheureusement pas parler de récit « passionnant et bien écrit ». Dommage.



Le monde 25 images par seconde. En tant que journaliste, je raconte des histoires, non pas parce que je le peux, mais parce que je le dois. Le monde est plein d’histoires voulant être racontées. En Suisse ou à l’étranger, il ne me faut qu’un microphone et une caméra.