
Dans les coulisses
Une histoire d’amour entre un ingénieur logiciel et la logistique
par Tiago Santos Baranita
Les nouveaux formats des cartons Digitec Galaxus sont en circulation depuis novembre dernier. Cela peut paraître trivial, mais relève en fait de la prouesse mathématique. Aurel Gautschi, Supply Chain Process Engineer, était à la tête de ce projet et nous donne un aperçu de son travail.
En novembre 2022, les entrepôts suisses de Digitec Galaxus ont vécu un grand chamboulement avec l’introduction de neuf nouvelles tailles de carton. Ces nouveaux formats ont été optimisés pour notre assortiment suisse et devraient permettre de réduire la quantité de coussins d’air dans les paquets. Mais leur développement a été un travail de longue haleine : Aurel Gautschi, responsable colis en chef, a reçu trois solutions d’optimisation ; deux propositions internes et une idée externe. Aurel m’explique dans notre entretien quelle solution il a choisie et ce qu’un petit restaurant turc vient faire là-dedans.
Nous avons recherché les tailles les plus optimales pour les milliers de produits que compte notre assortiment. Cela me remémore les problèmes en cours de mathématiques, mais en beaucoup plus compliqués. C’est une comparaison qui te parle ?
Aurel : pour moi, ça n’était pas tant un problème mathématique, mais plutôt le cours « Structures de données et algorithmes » pendant mes études. Si ce n’est que ce problème-là était encore plus difficile à résoudre que ce que nous avions vu en cours.
Qu’y avait-il de si difficile dans ce problème ?
L’énorme quantité de données. Sur un ensemble d’environ 250 000 tailles de cartons possibles, nous en avons sélectionné 7 à 9 qui correspondaient le mieux à notre assortiment. Cela laisse 21 combinaisons possibles. Pour simplifier, nous avons ignoré les options de positionnement quasiment infinies des rainures pour adapter la hauteur du carton. En fin de compte, il s’agissait de diviser le grand problème en sous-problèmes, que nous résolvions ensuite.
Tu étudies encore pour obtenir un bachelor. Comment as-tu géré cette responsabilité ? N’as-tu jamais eu peur ?
Mes connaissances suffisaient à définir un cahier des charges et à encadrer les équipes quant aux exigences commerciales. Je n’aurais cependant pas été capable de mettre en place la solution finale tout seul et j’ai donc fait appel à des professionnels. Iels connaissent mieux leur domaine que moi. Je tirais les fils.
Comment as-tu procédé ?
Dans le cadre d’un projet aussi important, il me semblait crucial d’envisager plusieurs solutions. Je voulais éviter de partir dans une direction en négligeant des aspects importants. Nous avons donc étudié trois propositions. Hakim, qui travaille au département Business intelligence dans l’équipe « Cyclops », a soumis une idée. Raphael Renaud, Head of Engineering, a lui aussi formulé une proposition. Enfin, la troisième idée venait d’Ergon, un tiers fournisseur de logiciels. Pour éviter toute influence entre les différents groupes, j’ai veillé à ce qu’ils ne se rencontrent pas.
Comment Raphaël en est-il arrivé à développer sa propre solution ?
L’idée est née devant un kebab. Un midi, je suis allé m’acheter un kebab et je suis tombé sur Raphaël. Notre échange rapide sur nos projets en cours s’est rapidement transformé en un entretien sérieux. Entre la sauce cocktail, le pain et les oignons, je lui ai parlé de la taille des cartons. Raphael a trouvé le projet si intéressant que nous avons aussitôt enchainé sur les premières solutions en attendant nos sandwichs. De retour à la maison, nous avons poursuivi la discussion via Teams. Pendant que je décrivais les exigences opérationnelles à Raphael, il écrivait déjà les premières lignes de code. Il a ensuite laissé le tout tourner sur son ordinateur et 42 heures plus tard, nous avions les premiers résultats.
Tu devais avoir quelques notions de programmation pour suivre le rythme, alors.
Avant mon cursus actuel, j’ai étudié les sciences assistées par ordinateur à l’EPF de Zurich pendant deux ans. Les connaissances que j’ai acquises à l’époque m’aident beaucoup aujourd’hui, d’autant plus qu’en tant que Process Engineer, il me faut une certaine compréhension de ces choses.
La programmation t’a donc rattrapé.
Je ne pourrai probablement pas me passer complètement du code et ça n’est pas ce que je souhaite. En tant que Process Engineer, je me trouve entre le développement logiciel et les activités quotidiennes de la logistique. C’est un rôle qui me donne la possibilité de résoudre des problèmes comme celui de la taille des paquets avec des logiciels. Cela m’attire plus que la réalisation purement technique.
Pourquoi voulais-tu trois solutions ?
Au début, nous savions à peu près dans quelle direction aller. Mais une solution basée sur un algorithme erroné nous aurait été fatale. Nous avons donc testé les trois solutions sous toutes les coutures dans différentes situations. Ce n’est que lorsque toutes les propositions allaient dans le même sens que nous avons su que nous étions dans le vrai. Et c’était le cas de nos trois approches, elles se ressemblaient beaucoup.
Et pourquoi avons-nous en plus examiné une solution externe ? Nous développons généralement nos outils en interne.
Ergon a beaucoup d’expérience dans le domaine des optimisations. L’entreprise a, par exemple, optimisé les stocks d’un client avec l’apprentissage automatique (ou machine learning). Cette expérience a été bénéfique à l’équipe et Alain et Willi, qui étaient responsables pour nous chez Ergon, sont de grands professionnels dans leur domaine. Tous deux ont obtenu un doctorat en informatique à l’EPFZ et nous ont présenté la solution la plus complexe. Mais c’est vrai que nous favorisons généralement des solutions internes. La collaboration avec un fournisseur de logiciels externe a cependant été très enrichissante.
Vous avez finalement choisi la solution proposée par Ergon. Qu’avait-elle de mieux ?
Les trois solutions donnaient des résultats très comparables pour la teneur en air, l’ergonomie et la consommation de matières premières. Les trois équipes avaient fait un super travail. J’ai ensuite évalué les différentes solutions à l’aide d’un petit script Python selon d’autres critères. J’ai par exemple calculé quelles tailles de carton permettaient à nos employé·e·s de travailler le plus rapidement. C’est là que de petites différences ont commencé à faire leur apparition. Et c’est sur la base de ces critères que l’algorithme d’Ergon a fourni de meilleurs résultats.
Qu’est-ce qui a plaidé en faveur des neuf solutions ?
Chacune des équipes à soumis trois solutions avec sept, huit ou neuf formats de cartons différents. J’ai ensuite réuni toutes les équipes impliquées et nous nous sommes mis d’accord sur neuf tailles. À l’origine, l’équipe logistique souhaitait avoir le moins de tailles de cartons différentes. Le gain obtenu en optimisation l’emportait sur l’effort logistique supplémentaire pour neuf tailles au lieu de huit.
Comment s’est passée la suite des opérations ?
Nous avons dû mettre les bouchées doubles, car les nouveaux formats de colis devaient être en circulation avant les fêtes de fin d’année. D’autant plus que nous devions laisser le temps à notre fournisseur de carton de produire les nouveaux cartons en quantité. L’équipe graphique a donc dû créer et envoyer les nouveaux designs dans un temps record et mi-octobre, ce projet de longue haleine a porté ses fruits lorsque les premiers cartons nous sont parvenus. En parallèle, nous avons écoulé notre stock de vieux cartons avant le 9 novembre, date à laquelle nous ne voulions plus utiliser que les nouveaux formats. La veille au soir, nous avons donc retiré tous les vieux cartons pour les remplacer par ces nouveaux formats.
Qu’est-il arrivé aux anciens cartons ?
Nous utilisons ceux qu’il nous reste pour les gros colis avant d’introduire les nouvelles tailles.
La transition s’est-elle bien déroulée ?
Nous n’avons pas eu d’incident majeur. Les employé·e·s étaient également très contents, car nous avons tenu compte de leurs besoins. Les nouveaux formats sont plus ergonomiques, plus besoin de se baisser autant pour faire les cartons, on peut désormais les assembler sur la table.
Peut-on ainsi considérer que c’est un projet clos ?
Non, les neuf tailles ne suffisent pas. Nous vérifierons régulièrement si les dimensions des cartons correspondent toujours à notre assortiment. Et nous avons déjà des idées sur la manière d’améliorer encore les algorithmes.
Sur quoi vas-tu ensuite travailler ?
Je dois d’abord passer mes partiels, puis je pourrai m’occuper d’un projet visant à améliorer à la fois l’ergonomie du poste de travail et la vitesse du processus. Je ne peux pas t’en dire plus pour le moment.
Les nouvelles ne me suffisent pas, ce qui m'intéresse, ce sont les histoires qui se cachent derrière. La curiosité ne me fait jamais faux bond : avec elle, je passe le samedi après-midi dans mon café préféré, j'écoute les histoires de la ville, je planifie mes aventures de voyage et crée de nouvelles idées d'événements. La méditation zen attendra.