
Critique
Critique de film : Bad Boys 3, ça aurait pu être pire
par Luca Fontana
Disney ne diffusera pas « Mulan » dans les cinémas, mais sur Disney+. L'un des derniers blockbusters 2020. Les exploitants de cinéma sont hors d'eux ; ils craignent même pour leur existence. Les grands studios ont-ils encore besoin des salles de cinéma ?
Le film « Mulan », qui devait à l'origine assurer des salles pleines en mars, est victime de la pandémie. Du moins du point de vue des exploitants de cinéma. Disney, le studio de cinéma ayant déjà reporté trois fois la sortie en salle, a pris sa décision finale :
« Mulan » ne sera pas diffusé au cinéma.
Le film sortira sur Disney+ le 4 septembre 2020 aux États-Unis et dans quelques pays européens non précisés pour 29,90 $, en plus des frais d'abonnement au service de streaming Disney.
Cette décision provoque un vif émoi. Tout d'abord du côté des abonnés. Ils se sentent bernés par Disney : jusqu'à présent, tout le contenu sur Disney+ était inclus dans l'abonnement. Même les films qui étaient destinés au grand écran. Par exemple « Onward » de Pixar, le controversé « Artemis Fowl » et la comédie musicale « Hamilton ». Le fait que les abonnés doivent payer un supplément pour un film est donc nouveau.
À cela s'ajoute le ressentiment des exploitants de cinéma dans ces pays qui, malgré la pandémie, ont ouvert leurs portes aux spectateurs, même s'ils n'ont pas pu leur montrer de films vraiment nouveaux depuis des mois. Avec « Mulan », l'un des derniers blockbusters de 2020 tombe à l'eau. La possibilité de montrer le film en parallèle au cinéma – ce qui aurait été approuvé sur demande par des chaînes de cinéma suisses comme Pathé et Kitag – a été refusée. Il ne reste donc plus que « Tenet » de Christopher Nolan et peut-être « Black Widow » de Marvel.
Les exploitants craignent pour leur existence. Ils n'arriveront pas à garder la tête hors de l'eau en jouant d'anciens films comme « Bad Boys For Life » ou « Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban ».
Mais une question est encore plus préoccupante : que se passera-t-il si l'expérience « Mulan » de Disney fonctionne ? Les grands studios ont-ils encore besoin des cinémas ?
La situation actuelle est préoccupante pour les exploitants de cinéma, et pas seulement depuis l'apparition du coronavirus. Depuis des années, la pression exercée par les services de streaming s'accroît : ils produisent des films primés avec des réalisateurs et des acteurs de plus en plus illustres et ils ne sont pas diffusés au cinéma, mais gratuitement à la télévision et à domicile. À cela s'ajoute un grand éventail de séries de qualité hollywoodienne. Les chaînes de cinéma sont obligées de se réinventer. Ils s'éloignent du cinéma pur et se transforment plutôt en centre de divertissement et en un lieu de rencontre social, comme me le confie Pathé Suisse dans une conversation.
L'industrie est sans aucun doute en plein bouleversement.
Nouveau est le fait que la pandémie accélère le rythme d'évolution. Le studio de cinéma Universal Pictures, par exemple, a conclu un accord controversé avec [AMC,] (https://www.amctheatres.com/), l'une des plus grandes chaînes de cinéma au monde, après des semaines de conflit. Il prévoit qu'Universal puisse distribuer ses films via des services de vidéo à la demande (VoD) comme Google Play ou Apple TV, seulement 17 jours après leur sortie en salle. C'est bien moins que les 90 jours habituels dans le secteur. En retour, AMC participera au chiffre d'affaires des revenus des VoD.
Une gifle pour les autres exploitants de cinéma qui tentent de s'opposer au changement numérique comme Cinemark et IMAX.
L'origine de la dispute était le « Trolls World Tour ». Alors que les cinémas du monde entier étaient fermés au printemps, Universal a préféré mettre son film d'animation en ligne pour 15 à 20 dollars – le prix d'un billet de cinéma. Cela a payé : en trois semaines seulement, le studio a gagné près de 100 millions de dollars rien que sur le marché américain.
Jeff Shell, le PDG de NBC Universal, a ensuite précisé qu'à l'avenir, les films seraient diffusés simultanément en numérique et en salle. Un day-and-date release en somme. AMC, craignant pour les spectateurs potentiels, a annoncé avec colère qu'il ne diffuserait plus les films Universal si Shell s'en tenait à ses plans.
Disney, cependant, va plus loin avec « Mulan ». Les spectateurs potentiels doivent d'abord acheter un abonnement Disney+ pour 6,90 $ avant de pouvoir acheter le film pour 29,90 $. C'est une grande différence par rapport aux services VoD, qui sont normalement gratuits. Et ce prix d'achat de 29,90 dollars est bien supérieur aux frais d'achat habituels d'un film premium sur les services de vidéo à la demande d'environ 20 dollars.
Bob Chapek, successeur de Bob Iger et depuis février 2020 nouveau PDG de la Walt Disney Company, promet que la procédure dans le cas de « Mulan » est « une exception » et n'est pas un nouveau modèle de sortie pour les futurs films Disney. Les exploitants de cinéma, tout comme les experts de l'industrie, qui ont été pris au dépourvu par la décision et sont sceptiques. Pour Disney, le modèle de sortie Mulan pourrait être extrêmement lucratif.
Faisons le calcul.
La question est la suivante : quelle est la probabilité que 22,1 % des abonnés payants achètent le film ?
Des téléspectateurs individuels en colère pourraient boycotter le modèle. Mais le véritable groupe cible de Disney est et a toujours été les familles. Pour ces dernières, une visite au cinéma – maman, papa et deux enfants – incluant billets, boisson et pop-corn coûte facilement environ 100 dollars. Les 29,90 $ semblent donc être une bonne affaire.
Passons à autre chose : si environ la moitié des abonnés achetaient le film, Disney gagnerait la somme énorme de 904,5 millions de dollars. Presque un milliard. Et ce succès ne devrait être partagé avec aucun exploitant de cinéma ou partenaire de distribution. L'argent irait plus ou moins directement dans les coffres de Disney. Et cela pour un film qui ne met même pas en scène des réalisateurs vedettes ou des acteurs célèbres.
Scénario tiré par les cheveux, me direz-vous ? Qui sait... Mais les craintes des exploitants de cinéma de voir que leurs salles ne soient plus nécessaires au vu de ces chiffres sont réelles.
Si le tollé est grand parmi les abonnés et les exploitants de cinéma, certains partis comprennent la décision de Disney. Ces derniers proviennent principalement du secteur financier. Les analystes de Wall Street par exemple justifient leur indulgence avec les chiffres récemment publiés pour le troisième trimestre de Disney. Selon l'analyste Manuel Mühl de la DZ Bank, ces derniers sont, « terribles, conformément aux prévisions ».
Concrètement, en trois mois seulement, Walt Disney Company a subi une perte de 4,7 milliards de dollars. Au cours du même trimestre de l'année précédente, le bénéfice avait atteint le chiffre énorme de 1,8 milliard de dollars, entre autres grâce au film record « Avengers : Endgame ».
La raison des gros chiffres rouge est la pandémie. Cette situation a frappé Disney de plein fouet dans presque tous les secteurs d'activité : les productions de films et de séries ont dû être arrêtés, les revenus des longs métrages sont quasi inexistants, les parcs à thème dans le monde entier sont fermés et les villages de vacances et les croisières avec les thèmes Disney ne rapportent pas assez. Et le pire dans tout cela c'est que la fin n'est pas en vue.
Entre-temps, la plupart des attractions Disney ont rouvert au moins partiellement dans les parcs, mais seulement sous des conditions strictes et l'incertitude de savoir si de nouvelles vagues de virus dans certaines parties des États-Unis ou du monde entraîneront de nouvelles fermetures perdure. La réouverture prévue de Disneyland Californie a dû être reportée et Disneyland Hong Kong a dû être à nouveau fermé. À Disney World en Floride, qui a été durement touché par la crise du coronavirus, les affaires ont démarré plus mal que prévu, selon Christine McCarthy, directrice financière de Disney.
La seule chose qui fonctionne encore chez Disney est son service de streaming. Du moins, si l'on parle du nombre d'abonnés. Selon l'analyste John Hodulik de la grande banque suisse UBS, Disney+ est en avance sur son calendrier en lançant le service de streaming dans différentes régions du monde. Au départ, l'ancien PDG de Disney, Bob Iger, prévoyait 60 millions d'abonnés d'ici 2024. Ce chiffre a déjà été dépassé.
Mais, mesuré en chiffres, Disney+ reste déficitaire ; pour le moment. Le boom de croissance favorisé par la pandémie est également dû à des prix promotionnels et des offres de lancement gratuites.
Cependant, les analystes de Disney ont supposé, avant même la pandémie, que le service de streaming ne serait rentable qu'à partir de 2024. Au vu de la croissance actuelle, cette prévision ne semble guère s'aggraver. Même le concurrent et PDG de Netflix, Reed Hastings, a admis le succès de Disney en matière de streaming et ne taris pas d'éloges à leur égard :
Je n'ai jamais vu quelqu'un apprendre et maîtriser un nouveau domaine aussi rapidement. Exécution, marque claire et focus sur le contenu ; chapeau.
En tout cas, Disney fait de nécessité vertu avec sa décision de diffuser « Mulan » non pas au cinéma, mais sur son service de streaming. Diffuser le film au cinéma maintenant ou seulement dans un mois ou six mois serait une décision risquée. Ou du moins tant qu'il n'y aura qu'un nombre limité de salles de cinéma ouvertes et que l'évolution de la pandémie sera difficile à prévoir.
En Suisse, par exemple, la chaîne de cinéma Kitag n'ouvre ses portes que du vendredi au dimanche, sinon, ce ne serait pas économiquement rentable. Lors de la réouverture début juin, Pathé Suisse a également parlé d'un nombre étonnamment élevé de visiteurs, tout en admettant qu'il était encore loin d'être rentable. Il est compréhensible que la perte d'une superproduction comme « Mulan » soit particulièrement douloureuse pour eux en ce moment.
Disney, cependant, essaie de récupérer au moins partiellement les énormes coûts de production et de marketing d'un film qui a été achevé il y a quelques mois avec sa stratégie de 29,90 dollars. Qui sait, peut-être même avec profit. Les investisseurs de Disney approuvent ce qui met en colère les exploitants de cinéma et les spectateurs : depuis que la diffusion de Mulan a été annoncée sur Disney+, la valeur des actions Disney a augmenté malgré les milliards de pertes de la société.
Un signe de notre époque : le secteur du streaming est plus important que jamais. Reste encore à voir si les abonnés sont prêts à accepter le coûteux modèle Mulan.
Un gros clin d'œil en direction des exploitants de cinéma ?
Malgré toutes les accusations de la méthode Mulan « exceptionelle », c'est ironiquement Disney qui a été si vitale pour la survie des exploitants de cinéma année record après année record. C'est probablement la principale raison pour laquelle ils craignent particulièrement le modèle de sortie Mulan, qui ferait passer les recettes sous le nez des exploitants de cinéma.
Sauf que Disney, malgré son grand succès en streaming, ne sera pas intéressé à perdre le cinéma comme grande scène pour ses superproductions. Le caractère de gros événement est trop important : lors d'un film Marvel, par exemple quand les spectateurs affluent en masse et déguisés dans les salles de cinéma et transforment un film en méga-événement. L'attrait mondial est trop grand, alimenté par une fréquentation record et des revenus qui renforcent l'attrait de la marque d'une manière que seuls les cinémas peuvent offrir.
Et, Disney a besoin de cette visualisation globale de son succès ou, en d'autres termes, de la passion des fans, qui s'étend aux bateaux de croisière, aux centres de vacances et aux parcs d'attractions où défilent les personnages populaires de Disney, Marvel ou Star Wars et aux attractions créés à partir des films. Une passion qui s'éveille avant tout dans les cinémas, sur le grand écran et qui ne peut être comparée à la télévision à la maison.
À cela s'ajoute encore la nature humaine : nous sommes des êtres sociaux. Le philosophe grec Aristote l'a dit des centaines d'années avant le Christ. Nous sommes des êtres faits pour vivre en communauté et pour en former. Que ce soit dans une clique, une classe, un club, un stade rempli de milliers de personnes ou juste au cinéma.
En effet, le nombre de visiteurs des cinémas de Chine et de Corée du Sud a déjà montré les hommes aspirent à partager leur divertissement. Ils veulent retourner dans les salles et faire l'expérience des films ensemble. Pathé Suisse m'a confirmé au téléphone que les mesures de sécurité supplémentaires telles que le port de masques n'avaient pas d'impact négatif sur le nombre de visiteurs, mais qu'au contraire majorité d'entre eux étaient très compréhensifs. Ces mesures représentent déjà la « nouvelle normalité ».
Bien que la situation actuelle des cinémas soit difficile, de nombreux arguments réfutent la thèse de la disparition des cinémas. Ou du moins à l'échelle mondiale. Surtout les grandes chaînes de cinéma essaient de se réinventer depuis des années. Par exemple en proposant descanapés ou même des lits au lieu de sièges dans les salles.
Le fait que de petits exploitants essaient – avec plus ou moins de succès – de concurrencer les grandes chaînes de cinéma et leurs superproductions avec des films de niche est une autre histoire.
Et le fait que ces exploitants soient eux aussi concurrencés pas des services de streaming de niche également.
Au fait, mes collègues Phil, Simon et moi-même avons récemment abordé le sujet « Mulan » sur Disney+ dans un podcast. Si vous souhaitez connaître notre opinion sur le sujet, vous pouvez l'écouter ici (en suisse allemand).
Vivre des aventures et faire du sport dans la nature et me pousser jusqu’à ce que les battements du cœur deviennent mon rythme – voilà ma zone de confort. Je profite aussi des moments de calme avec un bon livre sur des intrigues dangereuses et des assassins de roi. Parfois, je m’exalte de musiques de film durant plusieurs minutes. Cela est certainement dû à ma passion pour le cinéma. Ce que j’ai toujours voulu dire: «Je s’appelle Groot.»