En coulisse

La signification du travail derrière les barreaux

Derrière les barreaux, on travaille aussi du lundi au vendredi. Dans l'atelier de peinture de l'établissement pénitentiaire de Lenzburg, des meubles en bois, des objets de famille et, surtout, des volets sont remis à neuf. Les prisonniers apprennent ainsi, parfois pour la première fois dans leur vie, à suivre une structure.

J'échange mon passeport contre un badge de visiteur et mon téléphone portable reste dans un casier. Les photos sont interdites, ou du moins, pour moi. Je passe devant un détecteur de métaux et une écluse avant de descendre dans un tunnel. Les murs sont en béton. Des néons sont alignés au plafond et plongent la pièce dans une lumière blanche éblouissante. Un immense graffiti apporte de la couleur au couloir froid : des animaux aux couleurs vives en déplacement. Après quelques minutes, nous montons des marches en métal et traversons une porte blanche. Je me trouve dans l'atelier de peinture de l'établissement pénitentiaire (JVA) de Lenzburg.

Deux maîtres artisans et douze prisonniers y travaillent du lundi au vendredi. Aucun des hommes ne se ressemble : certains sont jeunes, d'autres vieux, certains sont blonds, d'autres bruns, certains sont grands, d'autres petites. « Cinq nationalités sont réunies ici », explique Sandro Tschumi, maître artisan. Les prisonniers font tout, du décapage à la peinture. Les volets sont leur spécialité. « Pour la majorité des ateliers de peinture, les volets ne sont pas assez lucratifs, mais ici au JVA, nous avons le temps de nous en occuper », ajoute Christoph Hug, responsable des 18 entreprises. En plus de l'atelier de peinture, nous avons aussi une menuiserie, une vannerie, une imprimerie et une serrurerie. Ils acceptent des projets individuels de particuliers, mais surtout des commandes en séries passées par des entreprises. Seulement une minorité des prisonniers a une formation. Ils apprennent les différentes étapes du début : « Chacun est responsable d'une seule étape de travail, qu'il perfectionne », dit Tschumi.

Tous les jours, Sandro Tschumi transmet son savoir en tant que maître artisan aux prisonniers.
Tous les jours, Sandro Tschumi transmet son savoir en tant que maître artisan aux prisonniers.

Du temps en abondance

La première étape est le décapage : on élimine la couleur et le vernis du bois. Pour ce faire, le volet est placé dans un bain de soude caustique à une température de 50 à 60 degrés Celsius et y reste environ 30 minutes. Un prisonnier équipé de bottes en caoutchouc, de gants, d'un tablier et d'une protection faciale rince le volet : « La solution est corrosive et ne doit pas entrer en contact avec la peau », précise Tschumi. Le volet se retrouve ensuite dans un bain d'acide avant d'être à nouveau rincé. Ensuite, le volet doit d'abord être complètement sec avant de continuer son chemin.

Le séchoir sent comme dans un sauna. Ce n'est pas étonnant, après tout c'est l'odeur du bois rencontrant de la chaleur. Les volets et les autres objets en bois y restent jusqu'à deux semaines. « C'est mieux pour le bois que le séchage rapide. Et si nous avons une chose en abondance ici, c'est du temps », ajoute Tschumi. Pour les détenus, le travail n'est pas seulement une occasion de gagner de l'argent, mais aussi une occupation. Ceux qui ne travaillent pas passent leur temps en cellule. « Le travail est presque un privilège, même s'il est, à la base un devoir. Quiconque n'arrive pas à s'intégrer sur le lieu de travail perd ce privilège », m'explique Hug.

Ici, les jours fériés ont une autre signification

Ali K., qui sera libéré dans un bon mois et qui travaille dans l'atelier de peinture, partage cette opinion : « Passer la plus grande partie d'un week-end normal dans une cellule est encore supportable. C'est aussi agréable de pouvoir se détendre de temps en temps et de ne pas toujours parler des mêmes thèmes comme celui de la libération. » Mais quand les jours fériés s'y ajoutent, cela devient plus difficile. « C'est là que l'ennui et la solitude frappent. » Même si les visites hebdomadaires de cellule sont possibles. « On peut faire une demande pour passer son samedi de 16h30 à 20h00 à quatre dans une cellule »," dit Ali K.. Soit ils cuisinent ou regardent la télévision. D'ailleurs, les deux activités sont payantes. « De notre salaire, nous déduisons le gaz pour cuisiner et le prix de location de la TV », me dit Ali K.

Ali K. me raconte ce que le travail dans la prison lui représente.
Ali K. me raconte ce que le travail dans la prison lui représente.

Ali K. aime cuisiner, que ce soit avec les autres ou seul. Même s'il y a trois repas par jour. « J'avoue que je ne suis pas le plus grand fan du souper. Un café complet est simplement trop peu pour moi après le travail. » C'est pourquoi il fait la cuisine un jour sur deux dans sa cellule avec une cuisinière à gaz. Les ingrédients qu'il ne trouve pas dans le kiosque de la prison, il les commande via des magasins. « Les prisonniers font une liste de courses et les produits souhaités sont ensuite commandés et emballés par des employés », explique Tschumi. C'est pour cela qu'Ali K. dépense la majorité de son salaire, suivi par les cigarettes en deuxième position. Il peut les acheter au petit kiosque à l'intérieur de la prison et les payer avec du liquide. 40 pour cent du salaire sont payés en liquide. 25 pour cent sont versés sur un compte duquel sont déduits des frais comme la location de la TV, les appels téléphoniques, etc. Les 35 pour cent restants sont placés sur un compte bloqué. Cet argent est donné au prisonnier après sa libération comme capital de départ.

La plupart des prisonniers font leurs débuts dans l'atelier de peinture en ponçant. Ce travail exige le moins de compétences et d'aptitudes. « Mais c'est aussi le plus salissant et celui qui offre le moins de gain », précise Tschumi. Ici, à la prison de Lenzburg, les salaires sont calculés en fonction du comportement sur le lieu de travail et de la difficulté du travail. Ceux qui font bien leur travail seront tôt ou tard promus. « Cela dépend aussi du nombre de places qui se libèrent suite à des licenciements ou des changements d'activité », ajoute Tschumi.

Nouvelle vie en Turquie

Ali K. est monté en grade. La peinture à l'aérographe est considérée comme la tâche la plus exigeante dans le domaine de la peinture et reçoit donc le plus grand salaire. La qualité de son travail et sa motivation sont également très appréciées par le maître Tschumi : « Ali K. veut faire du bon travail, il y a même effectué une formation pratique », ce qui n'est pas comparable à un véritable enseignement, mais montre qu'Ali K. a acquis des connaissances pratiques et théoriques sur la peinture à l'aérosol.

« Toutes les deux semaines, un enseignant d'une école professionnelle m'a donné des cours pendant quelques heures », déclare Ali K., qui aimerait appliquer ces connaissances après sa détention. Il n'est pas sûr qu'il y parvienne. Il sera immédiatement expulsé vers la Turquie après sa libération : « Je vis en Suisse depuis l'âge de dix ans. Toute ma famille habite ici. Je n'ai aucun lien avec la Turquie », dit-il. Dans ses mots, je ne perçois aucune colère ou résignation; ce qui me surprend : « Bien sûr, ce sera difficile, mais je ne vais pas me laisser abattre. Le pessimisme n'a jamais aidé qui que ce soit. » S'il n'arrive pas à percer avec la peinture à l'aérographe, il aimerait travailler dans le tourisme.

Tschumi l'a aussi aidé à adopter cette attitude : « Ma relation avec le maître d'atelier est très bonne. Il est toujours là si j'ai besoin d'aide ou cherche un nouveau défi », me confie Ali K.. Je demande Tschumi s'il n'est pas difficile de rester impartial en fonction de l'effraction commise. « Tout le monde ici a déjà été condamné, je n'ai pas à le faire. Je vois l'être humain, pas le criminel. » Il a consciemment décidé de combiner sa profession de peintre avec un aspect social et a donc aussi suivi une formation en tant qu'employé de prison. Il travaille à Lenzburg depuis onze ans et aime son travail.

Pour beaucoup de détenus, le mot formation leur est étranger : « La plupart d'entre eux ici n'ont jamais terminé leurs études et, pour la première fois de leur vie, apprennent à suivre une sorte de structure », ajoute Hug. Même pendant leur peu de temps libre ils doivent respecter des règles. « Si tu t'inscris à un entraînement de fitness, tu dois y aller régulièrement, sinon tu es exclu. » Le but de cette manœuvre est de leur apprendre que les accords sont contraignants.

Christoph Hug est responsable pour les 18 métiers présents à la JVA de Lenzburg.
Christoph Hug est responsable pour les 18 métiers présents à la JVA de Lenzburg.

Alors que nous nous rendons doucement à la prochaine station, je remarque à quel point l'atelier est calme. Personne ne parle, personne ne rit. « C'est seulement parce que tu es là. Sinon, ils font toujours des blagues», dit Tschumi en souriant. Ensuite, il m'explique l'étape suivante : « Chaque défaut doit être éliminé. Chaque volet est placé sur deux chevalets pliants. Un prisonnier doit égaliser tous les défauts avec du mastic beige avant que le volet ne soit poncé à nouveau à la main, en s'assurant qu'il n'y a pas d'irrégularités de surface. Après cela, le volet est peint à l'aérographe », précise Tschumi.

De l'art sur des crochets

Pour la peinture, les volets sont suspendus à une sorte de crochet et tirés dans la cabine par un système de rails. Ali K. est déjà en train de travailler. Il peint les pieds d'un banc avec une laque argentée. Pendant qu'il fait son travail dans des vêtements de protection, je me tiens dans la cabine de peinture avec mes vêtements normaux et je me sens un peu étourdie par les vapeurs. Cette odeur est aussi présente dans la pièce d'à côté où est entreposé la peintre et le vernis : « On s'y habitue. C'est même pire ; au bout d'un certain temps, on a même besoin de ces vapeurs », plaisante Tschumi.

Après avoir reçu deux couches de peinture, les pieds du banc sont amenés à la sale de séchage sur les rails. Cette dernière est pleine de volets de différentes couleurs. « Ça me fait penser au salon du design de Milan. Il y avait là des installations qui avaient une structure très similaire », explique le photographe Thomas, qui m'accompagne. Un changement par rapport à l'atmosphère plutôt stérile de l'atelier de peinture : murs blancs, vêtements de travail blancs et lumière blanche. Tous les lundis ou mardis, la salle de séchage est vidée et toute la marchandise est transférée dans la salle de livraison. Un ancien buffet s'y trouve. « Un héritage d'un client privé que nous avons restauré », précise Tschumi. L'atelier de peinture de l'AJV Lenzburg fait aussi de telles choses, même si c'est plutôt une « affaire de chef »: « Je ne veux pas confier une tâche aussi lourde à la majorité des prisonniers. Le risque que quelque chose tourne mal est trop grand. »

C'est à ce moment que le deuxième maître artisan entre dans la pièce. La petite boîte dans le coin ne sera finalement pas récupérée : « La femme n'a pas réussi à surmonter la difficulté de se rendre à la rampe pour récupérer son bien. » C'est à ce moment-là que je me rends compte de l'endroit où je me trouve. Aussi normal que chaque étape de travail puisse paraître, chaque conversation ; après leur travail, les employés de cet atelier retournent dans leur cellule et ne vont pas prendre une bière avec leurs amis. Un mur, deux clôtures et d'épais barreaux devant les fenêtres les séparent de ce scénario.

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Élargir mon horizon: voilà comment je résumerais ma vie en quelques mots. J'aime découvrir de nouvelles choses et en apprendre toujours plus. Je suis constamment à l'affût de nouvelles expériences dans tous les domaines: voyages, lectures, cuisine, cinéma ou encore bricolage. 


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