
Point de vue
Pourquoi réinventer la roue ? Vive le recyclage dans les jeux !
par Domagoj Belancic
On considère « Pong » comme le premier jeu vidéo, mais savez-vous que ses développeurs ont volé l’idée à quelqu’un d’autre ? En effet, c’est à Ralph Baer ̶ qui aurait fêté son centième anniversaire aujourd’hui ̶ que l’on doit le jeu et la console vidéo.
Ralph Baer est né le 8 mars 1922 à Pirmasens, en Allemagne. Petit déjà, il a un talent pour les constructions, il joue avec des plots. Mais sa grande passion, c’est la lecture et l’écriture. Il aime raconter des histoires et crée son propre monde imaginaire.
Il interrompt sa scolarité à 14 ans : en tant que membre d’une famille juive, il doit quitter l’école. En 1938, sa famille fuit le nazisme et se réfugie à New York. Baer a alors 16 ans.
Il commence à travailler dans une usine, même s’il sait que ce n’est pas sa vocation. Quelques mois plus tard, il voit quelqu’un lire un journal dans le métro. Une petite annonce pique son intérêt : « Gagnez beaucoup d’argent dans l’ingénierie de la radio et de la télévision ! ». Il se sent appelé et décide de suivre une formation par correspondance.
Alors qu’il travaille encore à l’usine, il invente son premier objet, ce qui marque un tournant dans sa vie. En effet, une de ses tâches consiste à creuser un trou dans un support à l'aide d’un levier, une pièce à la fois. Il a l’idée de fabriquer un appareil qui lui permet de faire des trous dans dix supports à la fois. Il vient de se découvrir une passion pour les inventions !
Une fois sa formation d’ingénieur en radio et en télévision terminée, il démissionne de l’usine et exerce son nouveau métier pendant quelques années. Il travaille comme responsable du service sur site et du transport d’appareils dans les magasins en vue de leur réparation. L’adolescent timide n’a aucun problème à parcourir tous les trajets à pied, en bus ou en train. Il adore ce qu’il fait.
Bien qu’il ait fui l’Allemagne, Baer n’échappe pas à la guerre ; il est enrôlé dans l’armée américaine en 1943. Il est stationné en Grande-Bretagne. C’est là qu’il a l’idée d’aider les Alliés, en tant qu’Allemand, à reconnaître les soldats allemands et leurs armes, et à les comprendre. Ses propositions suscitent un vif intérêt, et il devient formateur. En parallèle, il apprend l’algèbre en autodidacte.
Après la guerre, il souhaite faire un bachelor en ingénierie télévisuelle, ce qui s’avère difficile, puisqu’il a dû arrêter ses études à l’âge de 14 ans. Il n’a aucun diplôme officiel. Fort heureusement, il réussit un concours d’entrée avec honneurs, et il entame des études à Chicago.
En 1955, il trouve un poste chez Sanders Associates, un fournisseur de l’armée, et y gravit les échelons. Il développe notamment des appareils d’écoute et des systèmes de radars. Il peut enfin laisser libre cours à ses talents d’inventeur. En 1966, il est promu ingénieur en chef.
Un jour d’août 1966, Baer attend à un arrêt de bus, plongé dans ses pensées. Il sait que de nombreux foyers américains possèdent une télévision. À l’époque, ces appareils ne servent qu’à regarder la télévision. Une idée lui vient : et s’il faisait en sorte qu’on puisse les utiliser pour jouer à des jeux ? En famille, de préférence.
Il soumet son idée à son employeur, qui n’est pas convaincu. Mais étant donné la qualité du travail de Baer et sa motivation, il le laisse expérimenter, même si Sanders est une entreprise d’armement, et non un développeur de jeux. Avec son collègue William Harrison, Baer commence alors à travailler à sa première console de jeu.
Au bout d’un peu plus d’un an, Harrison et Baer terminent un prototype, la Brown Box, sur laquelle ils jouent au jeu « Ping Pong » illustré en début d’article. La Box projette des carrés sur la télévision, et les joueurs peuvent manier deux d'entre eux à l’aide d’une télécommande. Cette console possède déjà toutes les fonctions élémentaires des modèles actuels.
Mais les deux collègues ne se limitent pas à « Ping Pong » ; ils inventent plusieurs autres jeux, comme un jeu de chasse, dans lequel les carrés se pourchassent avec un pistolet optique de leur invention. Un aspect est essentiel à Baer : créer des jeux qui se jouent au moins à deux joueurs car, pour lui, les jeux à un seul joueur n’ont aucun sens. Ils doivent être avant tout une activité familiale.
Baer fait breveter cette invention et se met à la recherche d’un distributeur. L’entreprise Magnavox finit par sortir leur console en septembre 1972. Son nom ? Odyssey.
Baer et Harrison ne se mêlent pas d’Odyssey. Magnavox a acquis la licence du produit de Sanders et peut le gérer comme bon lui semble. 350 000 Odyssey sont vendues en trois ans.
Ralph Baer et William Harrison ont donc non seulement inventé la console de jeux vidéo, mais aussi les jeux vidéo en tant que tels. Pourtant, un autre nom est généralement associé à cette invention, celui de Nolan Bushnell. À l’époque, Bushnell est directeur de l'entreprise Atari, qui connaît un énorme succès en juin 1972 avec la sortie d’un jeu sur machine à sous : « Pong ».
Or ce jeu fait beaucoup penser à « Ping Pong », créé par Baer en 1967. En réalité, Bushnell a pris part à une présentation de l’Odyssey début 1972 et pompé l’idée de Baer.
S’en suit un procès entre Atari et Magnavox. Magnavox gagne, et Atari doit payer des droits d’auteur au fabricant d’Odssey. Malgré cela, le public a considéré Bushnell comme l’inventeur des jeux vidéo pendant de nombreuses années.
Baer a du mal à l’accepter. Il s’isole, quitte son poste chez Sanders et poursuit ses inventions dans sa cave, des jeux électriques pour enfants, principalement. Il fait breveter plus de 150 créations jusqu’à sa mort en 2014. Son plus grand succès : Simon / Senso, un jouet qui consiste à noter des suites de sons et de couleurs et à les reproduire correctement.
Le travail de Baer est enfin reconnu en 2006. Il reçoit la médaille National Medal of Technology pour son invention du jeu vidéo. Il s’agit de la plus haute distinction dans le domaine des sciences et technologies aux États-Unis. Cette distinction compense les injustices passées. La même année, Baer déclare dans un entretien avec le magazine Stern(en allemand) :
J’aurais dû me battre, j’ai été bête. Mais j’ai eu la liberté de faire ce que j’aime, et c’est un cadeau inestimable.
Ce texte se base sur le documentaire de VGXTV et cet entretien avec Noir Magnétique.
La technologie et la société me fascinent. Combiner les deux et les regarder sous différents angles est ma passion.