En coulisse

Rasta Rockett version sud-africaine

Paul Aegerter rêve de Jeux olympiques. Il espère un jour y représenter l'Afrique du Sud en ice cross downhill. Rencontre avec un athlète hors du commun.

Le temps est glacial ce matin à Küsnacht (ZH). Le maître de glace de la patinoire locale est déjà passé, nous pouvons donc faire nos tours sur une glace parfaitement préparée. Aujourd'hui, je rends visite à Paul Aegerter alias iceXpaul à l'entraînement. Paul, qui a la double nationalité sud-africaine et suisse, ne manque pas d'ambition : il vise les Jeux olympiques d'hiver.

L'ice-crosseur Paul Aegerter
L'ice-crosseur Paul Aegerter

Afrique du Sud et sports d'hiver ? Le pays du Cap de Bonne-Espérance est surtout connu pour son équipe de rugby : la légendaire Coupe du monde de 1995 remportée par les Springboks. Mais le ice cross ? Même si ce sport est encore relativement méconnu, le spectacle de patineurs dévalant la pente à toute vitesse attire un public toujours plus nombreux. Jusqu'à présent, Red Bull est le sponsor le plus présent dans les coulisses de ce sport.

De Johannesburg à Zurich en passant par Lausanne

Les parents de Paul se sont rencontrés à Johannesburg. Sur la glace, en plus. De mère sud-africaine et de père suisse, Paul naît à Zurich et grandit en Suisse romande. Aujourd'hui, à 44 ans, il est revenu vivre en Suisse alémanique avec son fils de huit ans. Paul chausse des patins pour la première fois à l'âge de cinq ans à la patinoire de Montchoisi à Lausanne. Les autres enfants de son âge vont skier régulièrement, lui patine plusieurs fois par semaine. Plus tard, il s'adonne au freestyle sur glace et au hockey sur glace. « Patiner, c'était comme respirer pour moi », se souvient Paul.

Let's get ready to rumble.
Let's get ready to rumble.

Suivent ensuite les études puis l'entrée dans la vie professionnelle, il range les patins pour un temps. De retour il y a quelques années en Suisse occidentale à Zurich, Paul, qui habite près de la patinoire de Küsnacht, se remet au hockey sur glace. Il découvre l'ice cross downhill et décide de concourir pour l'Afrique du Sud. Il a ainsi l'occasion de représenter le pays d'origine de sa mère dans ce sport naissant. Rasta Rockett en version sud-africaine.

Paul, ice-crosseur débutant

Il y a deux ans, il entre en contact avec des ice-crosseurs et l'ATSX, l'International All Terrain Skate Cross Federation. Peu de temps après, Paul effectue sa première descente en ice cross. Il est sur le point d'abandonner au bout de quelques entraînements. « J'avais tellement mal partout que j'ai voulu laisser tomber », se souvient-il. Rien d’étonnant à cela, la glace de la piste n'est pas lisse comme ici à Küsnacht. Les pistes de course sont généralement constituées de glace naturelle souvent très irrégulière.

Après une nuit de douleur, Paul refait un essai. S'il y a bien une chose qu'il sait faire, c'est patiner. Il se lance à nouveau sur le parcours gelé. Dès sa deuxième course en France, Paul se hisse dans le top 64. Ses talents ne sont pas passés inaperçus auprès des responsables des Red Bull Ice Cross World Championships qui l’ont invité à de grands événements en Russie et au Japon. Pour sa première saison en tant qu’ice-crosseur (2019/20), Paul Aegerter commence au 374e rang mondial. Cinq courses plus tard, il se hisse à la 95e place.

L'équipement le plus important: les patins à glace de Paul.
L'équipement le plus important: les patins à glace de Paul.

Certaines courses ayant été annulées en raison de la pandémie, Paul n'a pu disputer qu'une partie de la saison. L'ombre du coronavirus pèse aussi sur les prochains événements. Dans ces conditions, difficile de s’organiser intelligemment. Paul prend ça avec philosophie quand il dit : « Il faut faire avec. J'essaie simplement de tirer le meilleur parti de la situation ».

Il y a patins et patins

Sur la glace parfaitement préparée de Küsnacht, Paul continue à faire ses tours, sprinte sur de courtes distances et explique la particularité de ses lames. Elles sont spécialement affûtées pour être moins agressives que celles des patins ordinaires. La surface d'appui est plus grande, l’arête réduite. Cela donne une vitesse plus élevée pendant la course, mais rend les virages à l’entraînement d'autant plus difficiles et bruyants. Les lames spécialement affûtées de Paul font beaucoup plus de « bruit » que les patins de loisirs. Il sourit quand je lui fais remarquer et confirme mon impression. Ses patins ne passent pas inaperçus.

Sinon, l'équipement de Paul s'inspire du hockey et du BMX : des protections comme pour le hockey, un casque et des gants de BMX.

Pour dévaler la pente glacée à toute vitesse, il faut des lames spécialement affûtées.
Pour dévaler la pente glacée à toute vitesse, il faut des lames spécialement affûtées.

Ainsi équipés, les ice-crosseurs déboulent sur la piste qui s’étend sur quelques centaines de mètres. Pas question de se lancer au petit bonheur la chance. Le plus important est de ne pas chuter. Cela paraît simple, mais c'est l'un des grands défis de ce sport. « Les coureurs ont droit à deux descentes individuelles pour les qualifications. Le meilleur temps compte pour se classer parmi les meilleurs. Si vous prenez trop de risques et que vous tombez, vos chances de gagner sont beaucoup plus faibles », explique Paul. C'est exactement ce qu'il a vécu la saison dernière à Yokohama. Dans la course la plus importante de l'année, il a pris trop de risques dans les deux courses de qualification, a chuté deux fois et manqué les éliminatoires d'une place. Il y a de quoi être amer.

Pendant les éliminatoires, quatre coureurs s'élancent sur la piste. Seuls les deux premiers sont retenus pour la course suivante. Dans cet affrontement pour les meilleures places, les chutes sont inévitables. Il vaut mieux se donner à 95 % et ne pas tomber. Et le départ ? « Le plus rapide des quatre concurrents issus des qualifications choisit sa porte de départ en premier, puis le second et ainsi de suite. Les deux portes du milieu sont généralement les meilleures. Le départ est extrêmement important. Après un mauvais départ, il est difficile de se qualifier pour le prochain tour », poursuit Paul.

Une fois dans la course, Paul se concentre sur la trajectoire qu'il veut ou peut suivre, ses adversaires, les sauts et l'état de la glace. Ou les trous dans la piste laissés par les coureurs précédents. « Si vous vous payez un de ces trous, c'est terminé. »

On n'a rien sans rien

L'ice cross n'est pas seulement spectaculaire, ce sport est aussi dangereux. Les athlètes se blessent donc souvent. En ce moment, Paul a des soucis avec une côte. Elle est un peu fêlée ou quelque chose comme ça. Il n'a pas vraiment envie d'en parler. Selon lui, « pas d'omelette sans casser des œufs » Lors des championnats russes de la saison dernière à Moscou, il s'est déchiré deux ligaments à l'entraînement et a également subi une lésion du ménisque, mais Paul a quand même pris le départ. Il s'est ensuite envolé pour le Japon où avait lieu la compétition suivante. Il l'a ensuite payé de six mois de rééducation. Dans ce sport, la blessure la plus fréquente est la fracture de l'épaule. Paul y a cependant échappé jusqu'à présent.

En plus de l'équipement, une bonne condition physique de base protège contre les blessures graves. C'est pourquoi Paul Aegerter fait du sport quatre à cinq fois par semaine. Comme aujourd'hui, il s'entraîne sur la glace, joue au hockey, pratique souvent le roller au skate park, fait du jogging et de la musculation régulièrement.

Il est difficile de reproduire les sauts des courses à l'entraînement, mais les gestes à la réception si.
Il est difficile de reproduire les sauts des courses à l'entraînement, mais les gestes à la réception si.

En plus de cela, Paul exerce une activité professionnelle. Et même deux en fait. Il travaille d'une part comme responsable marketing dans le secteur des télécommunications chez UPC et d'autre part comme photographe indépendant. Comment fait-il pour tout gérer ? D'après lui, il faut jongler en permanence, surtout dans la situation actuelle avec la pandémie. La saison passée, sa première, a déjà été fortement marquée par le coronavirus. Sur les huit courses auxquelles Paul prévoyait de participer, seules cinq ont finalement eu lieu. La planification des déplacements eux-mêmes a été hasardeuse. Chez lui, à Zurich, il a jonglé avec les vols et les réservations d'hôtel pendant trois jours avant le championnat russe :

deux compétitions importantes pour lui étaient prévues au Japon, une à Yokohama et une à Nagano. Cette dernière a été déclassée à la dernière minute quelques jours auparavant et n'était donc plus intéressante pour Paul en matière de points au classement mondial. Il a donc annulé et prévoyait à la place de concourir au Canada. Mais toutes les places au départ avaient déjà été attribuées. Entre-temps, on lui a proposé de participer au championnat russe à Moscou qui se déroulait le même week-end que la course de Nagano. Paul a donc à nouveau changé de programme et abandonné Nagano et le Canada, pour Moscou, où il a participé au championnat, s'est déchiré deux ligaments du genou et le ménisque, comme nous l'avons dit plus haut, puis s'est envolé pour Yokohama où il a chuté à deux reprises lors des qualifications et manqué le tableau principal d'une place.

La prochaine saison sera également marquée par de nombreuses incertitudes. Tout se décide à la dernière minute. Pour Paul, c'est presque une situation normale. Il ne connaît rien d'autre. Petit soulagement : en raison du coronavirus, la série de courses sera répartie en zones continentales cette année pour minimiser les déplacements. Paul prévoit donc de ne concourir qu'en Europe.

Le budget pour une saison complète dépasse les 10 000 francs. Et les prix en argent ? Paul réfléchit : « Je pense qu'à Yokohama, le gagnant reçoit plusieurs milliers de dollars. » Il n’a pas l’air tout à fait sûr. Il faut dire que pour lui, il s'agit avant tout de se qualifier pour les compétitions, de parvenir aux éliminatoires et de continuer à accumuler des points au classement mondial. Il ne pense pas (encore) à décrocher le gros lot. En général, la prime remportée suffit à couvrir les frais d'inscription. Quelques sponsors de plus seraient donc les bienvenus. L'équipement, mais surtout les voyages et les hôtels absorbent la majeure partie du budget.

I have a dream

Et puis il y a le grand rêve de Paul : participer un jour aux Jeux olympiques d'hiver en portant les couleurs de l'Afrique du Sud. Il faudrait d'abord que son sport devienne discipline olympique. Le processus est en général assez long. À quarante ans passés, il n'est donc pas certain qu'il pourra encore participer aux Jeux olympiques.

Beaucoup des concurrents de Paul sont si jeunes qu'ils pourraient être ses fils. Et c'est justement pour cette raison que son rêve pourrait tout de même se réaliser un jour, si ce n'est en tant qu'athlète, alors peut-être en tant qu'entraîneur. « L'un de mes objectifs à long terme est de constituer une petite équipe avec des athlètes juniors d'Afrique du Sud, ajoute Paul. Si je pouvais initier trois ou quatre jeunes de mon pays à ce sport et leur transmettre la passion, ce serait fantastique. Et puis, si l'un ou l'autre d'entre eux devait participer aux Jeux olympiques, ce serait le rêve ultime qui se réaliserait. »

Pour en savoir plus sur Paul Aegerter, rendez-vous sur son site web iceXpaul et son compte @icexpaul sur les réseaux sociaux Instagram, Facebook et TikTok.

Cet article plaît à 31 personne(s)


User Avatar
User Avatar

Ancien journaliste radio devenu fan de story telling. Coureur confirmé, adepte du gravel bike et débutant en haltères de toutes tailles. Quelle sera ma prochaine étape ?


Sport
Suivez les thèmes et restez informé dans les domaines qui vous intéressent.

Ces articles pourraient aussi vous intéresser

  • En coulisse

    Les nématodes au cœur de la recherche sur le vieillissement

    par Patrick Bardelli

  • En coulisse

    De la planification au trail VTT : le savoir-faire suisse au service des destinations touristiques du monde entier. Deux spécialistes de la construction de trails nous en disent plus

    par Patrick Bardelli

  • En coulisse

    Naissance d'une luge pas comme les autres

    par Michael Restin

6 commentaires

Avatar
later