
Dans les coulisses
Lego et iPhone : les plus fréquentes recherches de la clientèle
par Manuel Wenk
Toutes les équipes d'ingénieurs de digitec travaillent en étroite collaboration. Toutes sauf une. Cette équipe adore travailler sur d'autres choses que les deploys et les sprints habituels. Il s'agit de l'équipe Spectre. Et c'est elle qui vous permet de payer avec des cryptomonnaies.
«Ouais, on l'a fait», lance Claudio Schaad, chef de la Team Spectre.
Spectre est l'une des équipes qui composent le département Engineering chez Digitec Galaxus AG. Officiellement, ce sont eux qui s'occupent en coulisse du processus de paiement pour les boutiques digitec.ch et galaxus.ch. Officieusement cependant, cette équipe de six personnes est sans doute la plus agitatrice et la plus effrontée de toute l'entreprise. Son dernier coup en date? La mise en place des cryptodevises, telles que Bitcoin ou Ripple, pour payer sur les deux sites Web.
Claudio est assis dans une salle de réunion aux murs noirs, il évoque de façon laconique une opération qui, dans d'autres entreprises, aurait pu coûter très cher à chacun. Mais pas chez Digitec Galaxus, où on les porte en héros et les acclame. D'où ça vient? Des valeurs fondamentales de notre entreprise: être «piratif». Ce concept est vraiment un fourre-tout, mais il se résume à ceci: les employés sont libres de travailler sur leurs propres projets.
La Team Spectre est l'illustration parfaite du travail en équipe. C'est comme ça qu'ils arrivent à être rapides, agiles et audacieux.
«Nous étudions la faisabilité du paiement en cryptomonnaies depuis un certain temps déjà» explique Claudio. Il porte un sweat à capuche confortable flanqué d'un calamar entouré d'un cercle en guise de logo, celui de Spectre, célèbre dans les films de James Bond. Il rit quand on en parle, tout en tentant de s'écarter du sujet: «Bien sûr, il nous fallait nous trouver une marque. C'est comme ça qu'on peut montrer qu'on est la Team Spectre. Ce qui nous distingue des autres équipes d'ingénieurs, c'est notre esprit d'équipe et ce brin de rivalité amicale qui nous habite».
S'il le faut, il peut enfiler sa chevalière officielle Spectre ou aller chercher un chat blanc en peluche en deux temps trois mouvements. S'il a soif, il y a toujours la boisson énergétique officielle Spectre. Elle n'est pas très bonne, mais il y a le logo dessus et elle vous tient éveillé. C'est tout ce qui compte.
«Enfin bref, oui, les cryptomonnaies» poursuit-il en essayant de cacher son rire pour paraître sérieux. Après tout, la blockchain, la pierre angulaire de toute cryptodevises, est un sujet extrêmement complexe.
Voilà comment la technologie blockchain fonctionne, en des termes très simples: c'est un moyen pour des milliers de personnes de s'accorder sur une version unique de la vérité. Par exemple, supposons qu'Alice achète un iPhone. La blockchain permet de garantir qu'elle n'utilise cet argent qu'une seule fois pour payer digitec, de telle sorte à ce qu'elle ne puisse pas le copier pour l'utiliser une seconde fois. Vous n'avez pas à faire aveuglément confiance à quelqu'un. De plus, tout cela est possible sans impliquer de grandes organisations centralisées telles que les banques qui comptabilisent ces transactions et facturent des frais énormes.
Les connaissances concernant l'application, la mise en œuvre et les risques ne proviennent pas seulement des propres recherches de Team Spectre, mais de chaque recoin de l'entreprise. Ce qui restait à Claudio et à son équipe de six personnes, c'était simplement de mettre en pratique ce que leurs recherches avaient donné. Et la solution qu'ils ont trouvée est la suivante: au lieu de créer son propre portefeuille ou même sa propre cryptomonnaie, du «digicon» ou autre par exemple, la Team Spectre a choisi de travailler avec une société appelée Coinify.
Cette entreprise a pour vocation d'offrir un havre de sécurité dans les mers déchaînées des cryptomonnaies, ce qui permet une structure de prix raisonnable lors des achats. Pour l'essentiel, l'entreprise ne fait rien d'autre que changer des cryptomonnaies en monnaie fiduciaire – pour digitec et Galaxus –, en francs suisses. Autrement dit, en faisant vos emplettes, si votre prix d'achat dépasse CHF 200, vous avez la possibilité de payer en cryptomonnaies. Et côté digitec, on récupère des francs suisses.
En choisissant de payer digitec ou Galaxus en bitcoin ou toute autre cryptomonnaie prise en charge, le système reliant Digitec Galaxus AG, Datatrans et Coinify calcule un tarif applicable pendant 15 minutes. Comme les cryptomonnaies sont extrêmement volatiles, de telles mesures sont nécessaires, auquel cas, vous pourriez risquer une perte nette. D'un autre côté, vous pourriez faire la meilleure affaire de toute l'histoire de l'humanité, au grand dam de Digitec Galaxus AG.
«Toute la phase de test a été passionnante», raconte Claudio. Les cryptomonnaies permettent rarement des essais à blanc. La Team Spectre n'avait d'autre choix que de mettre la main au portefeuille. Spectre avait plus ou moins développé sa solution de cryptomonnaie en douce. Ils ont surtout utilisé les heures réservées aux ingénieurs pour bûcher sur leurs propres projets. Spectre, cependant, c'est une équipe qui marche ensemble, pas une bande de loups solitaires. Ils se sont rassemblés dans leur salle aux murs noirs pour plancher sur leur projet. La question à laquelle il fallait répondre: quel serait le projet le plus cool et le plus percutant qu'ils pourraient mener à bien? Ils ont trouvé leur réponse dans une initiative audacieuse à moitié tentée et qui avait finalement été avortée: les cryptomonnaies. Les petits cachottiers de la Team Spectre ont ri: «c'est tout à fait nous ça».
«Je suis donc allé à un distributeur de billets CFF pour mettre des Bitcoin sur mon porte-monnaie», poursuit Claudio, «et payé d'autres frais supplémentaires pour les convertir en Ripple».
Avec cet argent, il s'est acheté un clavier un peu bizarre. Ce chef d'équipe achète environ un produit digitec une fois par semaine. Il est doué pour subventionner son travail, dit-il en riant.
Les choses ont mal tourné une fois. L'argent s'était volatilisé. Quelque part dans la blockchain. Cependant, chaque achat est facilement traçable, car il correspond à un bloc de données contenu dans la blockchain. Il était donc très simple d'annuler le paiement.
«Tout ce qu'il m'a fallu faire, c'est envoyer un e-mail à Coinify et à notre partenaire de Datatrans, et le tour était joué», conclut Claudio. L'argent lui a été rendu et les tests ont pu reprendre.
Depuis, pour la Team Spectre, les cryptomonnaies, c'est de l'histoire ancienne. Dans leur salle de réunion, les six membres de l'équipe préparent déjà leur prochain coup. La réunion est un peu étrange, juste comme ils les aiment. Les murs sont forcément noirs. Se livrer à leurs petites manigances ailleurs n'irait pas. Le sens de l'humour rythme le tout.
La discipline, cependant, est palpable. Spectre se juge et s'évalue avec intensité. Quels ont été les points faibles de notre dernière opération? Sur quoi peut-on travailler de façon plus efficace? Vient ensuite le processus de décision. L'investissement en temps arrive sur le tapis. À l'aide de cartes numérotées (planning poker) – estampillées Spectre cela va de soi –, chaque membre de l'équipe peut juger du nombre d'heures nécessaires à investir dans tel ou tel projet. Spectre ne révélera pas sur quoi ils bûchent actuellement.
«Nous avons tous nos petits secrets», explique Claudio.
Car même si Spectre travaille dans l'ombre des ingénieurs, à la fin, leur travail sera visible par tous.
Journaliste. Auteur. Hackers. Je suis un conteur d'histoires à la recherche de limites, de secrets et de tabous. Je documente le monde noir sur blanc. Non pas parce que je peux, mais parce que je ne peux pas m'en empêcher.