
En coulisse
Les rencontres à l’ère de l’intelligence artificielle
par Natalie Hemengül
Notre réseau de transport est au bord de la saturation. Pour débloquer cette situation, la multiplication des routes et des trains ne suffit pas, l'intelligence artificielle – ou IA en abrégé – a également un rôle à jouer. Mais comment les ordinateurs et leurs algorithmes peuvent-ils nous protéger du chaos des embouteillages ?
On est vendredi, il est tout juste 17 h. Je suis au volant de ma voiture en train d'essayer de quitter la ville. Malheureusement, le feu de signalisation – devant lequel j'ai l'impression d'attendre depuis une vingtaine de minutes – ne laisse passer que trois véhicules par phase verte. Pour quelle raison ? Ne peut-on pas optimiser ce système ? Les conducteurs à l'autre bout de l'intersection sont-ils dans le même état d'esprit que moi ?
C'est le genre de questions, entre autres, qui me vient à l'esprit lorsque je prends la route. Les systèmes de feux de signalisation sont constamment optimisés. De nos jours, l'intelligence artificielle y joue également un rôle.
L'intelligence artificielle, domaine majeur de l'informatique, ne possède toujours pas de définition universelle. Marvin Minsky, un scientifique américain, définit l'intelligence artificielle comme étant « la science qui consiste à faire en sorte que les machines ou les systèmes entreprennent des choses qui exigeraient de l'intelligence si elles étaient réalisées par les hommes » La Commission européenne définit à son tour l'IA comme étant « les systèmes qui font preuve d’un comportement intelligent en analysant leur environnement et en prenant des mesures – avec un certain degré d’autonomie – pour atteindre des objectifs spécifiques. »
L'IA n'est pas une technologie, mais fait plutôt référence à une variété d'approches, de méthodes et de technologies différentes. Aujourd'hui, l'IA est souvent divisée en trois branches : IA symbolique, IA orientée données et futures technologies d'IA. L'intelligence artificielle symbolique englobe des systèmes dans lesquels les Hommes développent un ensemble de règles logiques pour les convertir en algorithmes dans le but que les machines puissent les suivre. Ces dernières sont alors en mesure de prendre des décisions en fonction d'une situation particulière. L'intelligence artificielle orientée données combine les technologies d'apprentissage automatique avec celles utilisées pour rechercher et analyser de grandes quantités de données. Les futures technologies d'IA comprendront divers développements dans lesquels l'IA pourra intégrer des traits humains tels que l'intuition et la créativité ou même dépasser l'intelligence humaine.
La croissance démographique et l'augmentation de la mobilité sont les principaux facteurs à l'origine de l'importante circulation actuelle. Selon les calculs de la Confédération, les embouteillages sur les routes suisses ont coûté 1,9 milliard de francs suisses en 2015. Avec les bouchons, nos nerfs sont mis à rude épreuve, tout comme le porte-monnaie.
L'IA peut contribuer à rendre tous les modes de transport plus sûrs, plus écologiques, plus intelligents et plus pratiques. Déployée dans les véhicules et les infrastructures, elle modifie ainsi l'interaction entre les modes de transport et leurs usagers. Autres atouts de l'IA ? L'évaluation des tendances, l'identification des risques, la réduction des embouteillages, la mise en place et la gestion de transports plus économiques.
Mais ces avantages posent défis d'ordre éthique, social, financier, juridique et sécuritaire.
Comment l'IA est-elle utilisée dans le trafic routier aujourd'hui et quelles questions concrètes se posent ?
À l'heure actuelle, il se passe beaucoup de choses dans le domaine de l'IA appliquée à la circulation. Les constructeurs expérimentent des véhicules autonomes – aussi bien pour les transports publics que privés –, dotés de capteurs, d'actionneurs, d'unités de commande et de logiciels.
Certaines de ces technologies ne remplissent qu'une ou quelques fonctions pendant la conduite, comme le stationnement. D'autres technologies, en revanche, devraient rendre le conducteur humain complètement superflu. L'IA, qui assume certaines fonctions, est déjà monnaie courante. En effet, les véhicules autonomes sont actuellement en phase de test. Tesla teste depuis des années des véhicules autonomes, ce qui n'est pas sans conséquence. En juin dernier, un projet de véhicule autonome de la société de transport public de Schaffhouse a été gelé suite à une collision entre une navette et une cycliste.
Uber teste également des véhicules autonomes où l'AI intervient, mais ce n'est là pas le seul secteur où ces technologies interviennent. Chez Uber, tous les aspects des prestations proposées intègrent l'IA, que ce soit pour la mise en contact des conducteurs ou l'optimisation de l'itinéraire.
L'IA peut également s'avérer utile dans la circulation routière, notamment grâce au groupement en peloton – le truck platooning –, où les distances entre les camions qui se suivent sont réduites au maximum. Seul le véhicule de tête est conduit par un chauffeur, les autres camions placés en file indienne derrière étant guidés par l'intelligence artificielle. Cette technique fonctionne déjà très bien sur autoroute, mais atteint ses limites dans des configurations plus complexes, comme au niveau de feux de signalisation.
La gestion du trafic bénéficie également de l'IA qui analyse modèles et volumes de trafic ainsi que d'autres facteurs. L'IA peut, d'une part, contribuer à la planification du réseau routier en vue d'une réduction de la congestion – offrant ainsi l'avantage de préserver l'environnement, car les véhicules évoluent sur des routes à la circulation plus fluide et optimisée et rejettent de ce fait moins de gaz d'échappement dans l'air –, et, d'autre part, à optimiser le système des feux de signalisation.
Malgré ses nombreux avantages, l'IA comporte également des risques au niveau du trafic routier. Les voitures autonomes représentent un gain de temps pour les conducteurs qui n'ont plus à se soucier de la route, une situation qui pourrait inciter de nombreux usagers des transports en commun à adopter ce type de véhicules et entraverait les progrès réalisés en matière d'écologie dans les transports.
Des questions importantes se posent également en ce qui concerne la protection des données. L'IA pour voitures autonomes nécessite une énorme quantité de données. Ces dernières bénéficient certes d'une protection, mais des tiers peuvent malgré tout y accéder.
D'après une étude du BPA, 95 % des accidents de la circulation en Suisse sont dus à l'erreur humaine. En l'absence du facteur humain, ce chiffre pourrait être drastiquement réduit. L'IA n'est pas à l'abri d'erreurs et d'accidents, à en juger la collision d'une navette et d'une cycliste à Schaffhouse et des échecs essuyés par Uber et Tesla.
L'IA soulève de nombreuses questions d'ordre éthique. En cas d'urgence, comment l'intelligence artificielle devrait-elle réagir ? Notre collègue Philipp Rüegg aborde justement le sujet dans un autre article paru dans le cadre de notre fameuse semaine thématique.
En cas d'accident, la question de la responsabilité se pose. Qui est le responsable ? On doit le désigner en fonction du niveau d'automatisation des véhicules. Dans le cas de voitures entièrement autonomes, le constructeur est-il seul responsable ?
Dans le domaine des transports, l'IA contribuera à une modification des emplois, qu'il s'agisse de création ou de suppression. Les chauffeurs de taxi, bus et camions seront certainement amenés à disparaître.
La technologie et la société me fascinent. Combiner les deux et les regarder sous différents angles est ma passion.