
En coulisse
Laissez-moi voir pour vous
par Patrick Bardelli
Hans-Peter Schmid est un coureur dans l'âme. Il a toujours un guide à ses côtés. Car Hans-Peter Schmid est aveugle.
Il y a quelques mois, je rencontre Hans-Peter et son guide Mike Bär pour une interview. A cette occasion, il me raconte notamment qu'il s'est qualifié pour le marathon de Boston de cette année. L'anticipation de cette compétition est énorme pour les deux coureurs.
Le 15 avril, quelque 27 000 coureurs parcourront les 42,195 kilomètres de Boston. L'un d'entre eux est Hans-Peter Schmid, aveugle. Voici son témoignage :
J'ai eu la grande chance de pouvoir participer au 123e marathon de Boston, qui s'est déroulé le 15 avril 2019. Autant le dire tout de suite : L'expérience a été indescriptiblement intense, formidable et bouleversante. Je n'avais jamais vécu cela auparavant ! De plus, l'organisation, en particulier pour les athlètes avec des limitations, a été inégalée. Enfin, je n'ai jamais vu un public aussi nombreux, enthousiaste, présent et joyeux.
Le matin du 15 avril, le départ a été donné très tôt. Réveil à 4h15, petit déjeuner en chambre à 4h45 et enfin départ pour le lieu de rassemblement à 5h30
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Les athlètes avec restrictions ont pris le bus VIP et une escorte policière à 6h15 pour se rendre en une heure à Hopkinton, où se trouvait le site de départ. La pluie s'est mise à tomber au moment de l'embarquement et a continué à tomber pendant le trajet. Un véritable orage s'est abattu sur la région.
A Hopkinton, nous avons pu prendre place dans une tente VIP chauffée, ce dont nous étions très heureux. Il faisait relativement froid et la pluie continuait à tomber. Vers neuf heures, une demi-heure avant le départ officiel, la pluie a cessé. Un timing génial !
Mon guide Mike Bär et moi nous sommes alors promenés un peu dans la zone de départ. Les mesures de sécurité étaient très strictes. Avant d'entrer dans la zone, nous avons été fouillés avec un détecteur de métaux. De nombreux policiers et tireurs d'élite étaient présents dans la zone de départ, et un adorable labrador reniflait d'éventuelles bombes
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Peu avant 9h30, l'hymne national a été chanté. Aux derniers sons, deux avions de chasse ont survolé la zone de décollage en saluant à basse altitude. L'émotion et l'ambiance étaient incroyablement fortes
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Notre départ, au fond de la vague deux, était prévu à 10h25. Nous nous sommes installés, nous nous sommes débarrassés de nos vêtements chauds et avons attendu que des milliers de coureurs s'alignent devant nous. La ligne de départ s'étendait sur environ 800 mètres. Il nous a donc fallu un certain temps avant de pouvoir commencer à courir
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Au début, la course était relativement serrée et exigeante. Il y a eu deux situations critiques où des coureurs ont sauté à mes pieds et où j'ai trébuché. Heureusement, j'ai pu me rattraper à chaque fois. Ensuite, les choses se sont progressivement détendues.
La première partie du parcours était plutôt en descente ou plate, ce qui incitait à accélérer le rythme. Nous avons traversé plusieurs communes où des centaines, voire des milliers de personnes se tenaient au bord de la route pour encourager les coureurs en criant, en hurlant, à l'américaine. Le bruit était souvent assourdissant. Je n'avais jamais reçu autant d'attention et de soutien en Suisse. Et lorsque je levais la main pour saluer, les cris s'intensifiaient encore. C'était incroyable. Le point culminant des cris a été atteint au 20e kilomètre, au Wellesley College. Là, sur plusieurs centaines de mètres, des étudiantes du collège local encourageaient les coureurs et réclamaient un baiser avec des pancartes.
A partir du 25e kilomètre environ, les Netwon Hills sont apparues, quatre belles côtes qui nous ont fait transpirer. Comme il faisait assez frais le matin, nous portions des manches longues. Mais au fur et à mesure de la course, le temps s'est réchauffé et le soleil a fait son apparition. J'avais donc beaucoup trop chaud et j'en ai beaucoup souffert. Au 33ème kilomètre, il fallait encore gravir la Heartbreak Hill, la dernière montée avant Boston. Toujours sous la chaleur, cette côte m'a fait souffrir, mais je m'en suis bien sorti. Ce n'est qu'à l'hôtel que Mike m'a dit que plusieurs coureurs avaient été emportés en haut de la côte et qu'ils avaient été oxygénés sur le parcours. Je me sentais donc très bien en comparaison.
Après Heartbreak Hill, je n'ai fait que descendre vers Boston. J'étais assez fatigué, je souffrais, j'allais relativement lentement et j'avais hâte de franchir la ligne d'arrivée. Deux miles avant, il a commencé à pleuvoir. J'étais content d'avoir un peu de fraîcheur et je n'en revenais pas de la chance que nous avions eue avec la météo. Enfin, nous avons tourné à droite dans Hereford Street et à gauche dans Boylston Street, une section caractéristique du marathon de Boston. Ensuite, nous n'étions plus très loin. Nous avons couru sur Boylston Street en direction de la ligne d'arrivée. La foule était en délire, les annonces par haut-parleurs retentissaient et une vague de joie nous a accompagnés sur la ligne d'arrivée. Là, nous avons reçu une feuille de chaleur, de l'eau et surtout la médaille tant convoitée.
Cette année, plus de 27 000 coureurs ont participé au marathon de Boston. Parmi eux se trouvaient 51 tandems de différents pays, dont 48 ont franchi la ligne d'arrivée.
Ancien journaliste radio devenu fan de story telling. Coureur confirmé, adepte du gravel bike et débutant en haltères de toutes tailles. Quelle sera ma prochaine étape ?