
Dans les coulisses
20 ans de digitec : un voyage dans le temps en chiffres
par Alex Hämmerli
L’iPhone n’était pas disponible en Suisse en 2007, du moins jusqu’à ce que digitec s’en mêle. Retour sur une période passionnante du commerce en ligne suisse.
Oliver Herren a trouvé la réponse au fin fond des bases de données. Je lui avais en effet demandé quand digitec avait vendu le premier iPhone. Sa réponse a été d’une précision chirurgicale : le 29 février 2008 à 12 h 58, une date à laquelle l'iPhone n'était pas officiellement disponible en Suisse, inimaginable, alors qu’aujourd’hui nous sommes probablement le pays qui détient la plus grande part de marché d’Apple.
Néanmoins, digitec était encore à l’époque une petite boutique en ligne : le rêve devenu réalité de trois amis d’enfance qui en avaient assez de devoir payer des prix exorbitants pour des pièces d’ordinateur ou de ne pas les trouver du tout. Ils ont fondé en 2001 une boutique en ligne qui a ensuite connu une croissance rapide.
En juin 2007, le fondateur d’Apple, Steve Jobs, a présenté un nouveau type de téléphone mobile : un appareil sans boutons, à l’exception de la célèbre touche Accueil. À l’époque, les grands acteurs du secteur ne montraient qu’un intérêt modéré pour cette nouvelle technologie mobile. Nokia possédait 38 % des parts du marché, suivi de Samsung, Motorola et Sony Ericsson qui se disputaient le reste du gâteau.
Aux États-Unis, seul l’opérateur AT&T proposait l’iPhone. En Allemagne, il était aussi disponible depuis le début du mois de novembre 2007, mais seulement lié à un abonnement de deux ans chez Telekom. En Suisse, la première génération du nouvel iPhone n’était pas encore officiellement disponible à la vente ; Swisscom n’a conclu un accord avec Apple que pour la deuxième génération. L’information a été officielle au printemps, et l’appareil d’Apple était alors officiellement disponible à l’achat à partir de juillet 2008. Grâce à l’iPhone, très convoité, les clients pourraient être « motivés » à souscrire un abonnement Swisscom coûteux d’une durée de 24 mois.
Pour les acheteurs d’iPhone, le partenariat entre Apple et Swisscom a donné lieu à une sorte de clause léonine dans lequel les deux entreprises sont largement gagnantes. À l’Université de Lucerne, un professeur s’est même inspiré de cette situation pour élaborer un exercice en droit commercial des affaires.
En 2007, les fondateurs de digitec, Oliver Herren et Florian Teuteberg refusaient que l’iPhone constitue une exclusivité Swisscom. Ils ont tout mis en œuvre pour trouver une solution. Ils ne se souviennent néanmoins plus en détail des démarches entreprises. Un rôle clef est joué par un négociant nommé Mino, qui a acheté pour digitec. « Il avait l’idée et les possibilités », déclare Florian Teuteberg, aujourd’hui CEO de Digitec Galaxus. Il a acheté les iPhone aux États-Unis, aux Émirats arabes unis, à Hong Kong ou même en Israël, comme l’explique Oliver Herren, désormais Chief Innovation Officer.
En 2007, Apple ne voulait tout simplement pas livrer d’appareils en Suisse en raison des accords avec les opérateurs de téléphonie mobile. Cette relation commerciale rapportait bien trop aux deux parties.
Il s’agissait donc d’une sorte de longue et sinueuse opération de « contrebande » si vous vouliez mettre la main sur un iPhone dans les mois précédant le lancement officiel du produit. Les premiers aficionados d’Apple, comme l’entrepreneur Internet Peter Hogenkamp, ont traversé la frontière allemande en voiture dans la nuit de novembre. Dans un magasin de télécommunications qui s’appelait « T-Punkt » à l’époque, il s’est procuré un iPhone sans abonnement. Peu de temps auparavant, il avait été décidé par une ordonnance de référé que Telekom était aussi autorisée à vendre des iPhone sans verrouillage SIM. C’était en fait même une obligation juridique.
« À l’époque, c’était déjà un signal fort que d’avoir un tel appareil », se souvient Peter Hogenkamp lors d’une conversation. Le fait que la Suisse n’ait pas été l’un des premiers pays à vendre l’appareil Apple paraît aujourd’hui étrange. « Mais en dépensant bien l’argent, nous sommes généralement parmi les premiers à acquérir les produits Apple », déclare Peter Hogenkamp. Et par là, il parle aussi de lui-même. Il a acheté tous les nouveaux modèles depuis le premier. Il a seulement laissé de côté le 12. Le 13 est en revanche bien en sa possession.
Les smartphones que digitec a pu obtenir en 2008 étaient également « débloqués » et équipés d’un contrat de téléphonie mobile de Sunrise pour la vente en Suisse. L’offre ne constituait en rien un secret, on pouvait même la trouver dans une brochure, ou dans les affiches des bus et des trams, comme le prouve cette trouvaille issue des archives de digitec :
Ainsi, digitec a également suscité un enthousiasme qui, dans les années qui ont suivi, s’est traduit par de longues files d’attente devant les magasins Apple et a envoyé l’ancien numéro 1 du marché , Nokia, dans les cordes.
Au « Neue Zürcher Zeitung », dont l’édition en ligne se montrait il y a 15 ans aussi peu vendeuse que l’édition papier, on ne croyait probablement pas vraiment au pouvoir révolutionnaire du premier smartphone. Mais comme digitec a vendu les iPhone, l’écrivain a dû finalement prendre la plume.
Fatigué par le battage médiatique, le rédacteur avait en effet décidé de ne plus rien publier sur ce produit fantôme jusqu’à ce qu’il soit disponible dans la boutique du coin. Le produit est maintenant arrivé, la boutique s’appelle Digitec, un détaillant en ligne avec deux succursales, qui propose dans sa brochure le modèle d’iPhone avec 16 Go de mémoire à partir de 199 CHF avec un abonnement Sunrise.
Avant que Swisscom ne propose le premier iPhone 3G dans ses rayons, on estime que 40 000 personnes avaient déjà passé des appels téléphoniques et surfé sur Internet avec l’appareil de première génération « piraté » en Suisse en 2008.
Combien d’entre eux ont été vendus par digitec ? Un peu plus de 3 000, selon Oliver Herren. Le calcul s’étale du 29 février à la veille de la vente des iPhone par Swisscom, qui a pratiquement totalement ouvert les vannes.
La façon dont les premiers appareils sont arrivés en Suisse rappelle le comportement des commerçants du Far West. Les iPhone achetés à l’unité par les négociants dans divers pays ont été envoyés par avion en Suisse. Là, ils se sont retrouvés dans l’entrepôt sous douane de Kloten. Les employés ont examiné cette marchandise fraîchement arrivée. Si tout était en ordre, le paiement était effectué, puis le commerçant libérait les marchandises.
Les pionniers de digitec n’ont pas gagné beaucoup d’argent avec l’iPhone. Il s’agissait plutôt de la volonté de pouvoir proposer l’appareil aux clients, peu importe qu’Apple l’ait prévu dans sa stratégie de lancement ou non, explique Florian. Et Oliver ajoute « Les clients voulaient les produits, nous voulions les vendre. Le fait d’être poings et pieds liés à des fournisseurs nous a aussi dérangés. »
D’ailleurs, ni Florian ni Oliver ne sont devenus des utilisateurs d’Apple à l’époque, malgré cette passionnante entreprise d’acquisition. Ce n’est que plus tard que le CEO de digitec a effectué « un bref retour par l’univers Apple », mais il est ensuite rapidement revenu à Android. Et Oliver n’a fait le saut chez Apple qu’avec l’iPhone 11, avant cela, il était sur un Windows Phone, avoue-t-il.
La relation entre Apple et digitec n’a jamais été véritablement une histoire d’amour. En effet, le géant états-unien ne se trouvait pas en bons termes avec l’obstiné magasin en ligne suisse pendant de nombreuses années. Ce n’est que cinq ans après l’importation à grande échelle sur le marché gris qu’Apple a officiellement fourni digitec avec ses appareils pour la première fois.
P.-S. : dans le cadre de la campagne Rétro actuelle de digitec, vous verrez certainement bientôt sur les affiches l’offre avec le premier iPhone de 2008 et bien d’autres images susceptibles d’éveiller une nostalgie certaine.
P.P.-S. : si vous êtes intéressé par l’histoire de digitec, vous pouvez lire l’entrevue des fondateurs Florian et Oli dans Migros Magazine. ou vous pouvez aussi visionner l’interview de sept minutes avec ces deux personnes que digitec a réalisée pour son 15e anniversaire diffusée sur YouTube.
Je suis journaliste depuis 1997. Stationné en Franconie, au bord du lac de Constance, à Obwald, Nidwald et Zurich. Père de famille depuis 2014. Expert en organisation rédactionnelle et motivation. Les thèmes abordés ? La durabilité, les outils de télétravail, les belles choses pour la maison, les jouets créatifs et les articles de sport.